double bill Hard to be a God au Nova
dimanche 17.05 dès 18h au Cinéma Nova.
Dernières projections de ces deux films, le premier de 1989 culte et kitsh, le second de 2013 magistral et marquant, deux adaptations radicalement différentes du livre des frères Strugatsky "Hard To be a God". Où l'on parle de crétinerie, d'obscurantisme et de Dieux humains étudiants les moeurs d'une planète qui n'a su quitter le Moyen-Âge. à ne pas manquer!
Es is nicht leicht ein Gott zu sein
Hard to be a God / Un Dieu rebelle
Peter Fleischmann, 1989, DE-RU-FR, 35mm, vo de st fr, 119'
La première adaptation de "Hard To Be a God", co-production franco-germano-soviétique, fut également un long processus, qui laissa toutes les parties sur leur faim à la fin des années 1980. Le film est un mélange de science-fiction et d’Heroic Fantasy passer à la moulinette germanique. Étrange étrange... Pour forcer le trait de ce déroutant récit, on insiste sur le mélange des genres : les terriens communiquent avec Don Rumata et sont à bord d’un vaisseau spatial en orbite ! Jean-Claude Carrière participe au scénario, Peter Fleischmann réalise, Jean-Claude Mézières conçoit les décors (très peu utilisés paraît-il) et l’on voit bien qu’on tente de marier Blockbusters, séries B 80’s et cinéma russe de l’époque (cf "Kin-dza-dza", montré au Nova il y a quelques années) avec un budget compliqué. On est très très loin du film de Guerman ! Si l’on est attentif, l’histoire originale des frères Strugatsky, transformée, se comprend à peu près. Le film réserve quelques bonnes surprises et ne manque pas d’intriguer : une ambiance 80’s vintage, des tentatives de folk futuriste (point commun avec la version de Guerman) et la présence de Werner Herzog font définitivement de ce film un Ovni ! Encore une boucle de bouclée, le film et ses déboires furent comparés pendant plusieurs années aux mésaventures de Terry Gilliam.
Il est difficile d’être un Dieu
Alexei Yurievich Guerman, 2013, RU, DCP, vo st fr & en, 170'
Une équipe de scientifiques est envoyée à Arkanar, capitale d’une petite planète proche de la Terre. Plongée dans un Moyen-Âge crasseux, elle refuse d’entrer dans une Renaissance dont l’écho lointain fut assourdit définitivement par l’éradication de la seule université. Parmi eux, Don Rumata, s’intègre à la population en incarnant la dernière engeance d’une lignée de demi-Dieux vénérés. Sous cette couverture, il se doit de parcourir les viscères d’Arkanar, en quête du docteur Budakh, dans le but de sauver ce qui resterait de connaissances dans ce royaume de la bouffonnerie génocidaire, où les têtes d’érudits roulent au rythme d’une interminable pluie battante.
Une voix off distille quelques rares informations, suivies d’indices pour planter le décor. Guerman nous plonge directement, durablement, dans ce monde qui ne pouvait être montré que dans ce noir et blanc peu contrasté et témoigner de ce cloaque humide, sale, et puant. Commence alors pendant près de trois heures un voyage au cœur de cet univers où la bêtise terre à terre régit tout. Hommes et animaux s’en remettent à leur sens premiers pour s’en sortir, et l’odorat reprend le dessus.
Pour respecter le code de déontologie du scientifique Rumata doit éviter d’interagir avec son environnement et ne peut ni tuer ni l’être. Seule la découpe d’oreilles lui permet de faire valoir ses incomparables talents de guerrier.
"Hard To Be a God" est orchestré par des plans séquences vertigineux et virtuoses, où des décors fourmillant de détails prennent vie lors de déplacements à la steadycam, face à laquelle les personnages, au hasard des plans, se confient ou, simplement, nous interpellent depuis ce monde étrangement familier et angoissant. Pas de figurants disait Guerman, mais d’innombrables personnages secondaires, la plupart du temps interprétés par des acteurs non professionnels, souvent recrutés dans des hôpitaux psychiatriques et que le tournage ne devait pas dépayser.
Cette œuvre profonde et drôle maîtrise une approche médiévale fantastique à des années lumières des niaiseries post-Tolkien. C’est plutôt Rabelais, Andrei Roublev et surtout Chaucer, Gilliam et les Monty Pythons que l’on retrouve. Un Moyen-Âge fantasmé et boueux en diable, fait de ceintures de chasteté et de parapluies blindés. Un humour féroce et pince sans rire témoigne de comportements d’une crétinerie abyssale à faire frémir. Une réponse par l’art viscéral et radical à l’obscurantisme sans fond, sans passer par l’Humanisme et son universalisme douteux.
Aucune musique de fond n’habille cette traversée. Seule nous apparaît celle que joue Rumata à partir d’instruments à vents médiévo-futuristes étranges, d’où il tire une musique atonale subversive qui résonne et fait écho aux instruments à cordes des grouilleux locaux, dont l’art populaire est la seule faible source de chaleur de ce film suintant l’automne pluvieux.
Plus de 13 ans furent nécessaire à la naissance de ce film majeur, terminé par le fils et la veuve de Guerman. Une sortie qui laisse perplexe la presse du monde entier, dont l’arsenal critique reste sans outils pour traiter d’un film sortant des canons confortables.