Rediffusion d’une émission de Les Micros-Comptoirs de RadioPacoul
La lutte 3.1
Devenu un peu plus familier avec la mouvance militante depuis ses rencontres à Paris et à Bure, Gégé s’est senti pousser des ailes et a décidé de se rendre, fin aout, en plein cœur de la jungle, à Calais.
On y dénombrait alors entre 7000 et 10000 réfugiés vivants sous des tentes, tentants chaque nuit de monter à bord d’un camion en partance pour l’Angleterre et cherchants chaque jour un moyen de subsistance.
Autour d’eux, une ribambelle de bénévoles anglais, italiens, espagnols, belges et même bretons, étudiants pour la plupart mais aussi intermittents ou véritables actifs, se mobilisaient pour préparer des repas, trier des vêtements et du matériel de camping, construire des abris en bois, donner des cours de français et d’anglais, ou même ramasser des ordures.
Certains tentaient de mettre en image une galerie de portraits au sein de cette véritable ville parallèle peuplée de Soudanais, Erythréens, Syriens, Kurdes, Pakistanais, Afghans, Irakiens et Darfouriens et qui comptait, outre des écoles, plusieurs mosquées, une église, une librairie, des restaurants, des épiceries, des boulangers, une salle de billard et une autre de musculation. Toute une infrastructure qui pourrait faire sembler le lieu vivable si l’on oubliait de rappeler le froid glacial qui sévissait tous les hivers, que l’eau potable et les toilettes n’y étaient présentes que depuis quelques mois ( après une injonction du conseil d’état au gouvernement lui imposant de mettre fin aux "“traitements inhumains et dégradants“ au sein de la jungle ), que le harcèlement policier était constant, que les tensions liées à la surpopulation déclenchaient parfois des rixes conduisants à des morts et que femmes et enfants étaient les premières victimes de trafics en tous genres.
Le soir, les bénévoles se retrouvaient souvent autour d’une bière pour réciter le fil de leur journée, journée composée d’un mélange d’émotions positives ou négatives, de dégouts parfois mais aussi d’espoirs. Notre stagiaire profitait alors de ces instants pour les interroger à leur tour sur leurs motivations et le sens qu’il donnent à leurs actions.
Une session en deux parties dont voici la première.
Précisons s’il le fallait que les propos tenus dans ces enregistrements - et qu’il faut parfois prendre au second degré - n’engagent en rien les associations pour lesquelles officiaient les militants.
Pour mieux comprendre comment la jungle s’est peu à peu construite à Calais, nous avons utilisé des extraits d’une vidéo réalisée par Francesca Fattori pour le journal Le Monde et dont vous pouvez retrouver l’intégralité ici.1
www.radiopacoul.top/La-lutte-3-1
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La lutte 3.2
En août 2016, chaque nuit, une partie conséquente des quelques 10000 occupants de la jungle de Calais tentent de monter sur un camion en partance pour l’Angleterre. Le lendemain, les rares absents sont ceux ayant réussit à passer. Les autres n’ont que deux mots en anglais pour décrire la situation : "No chance". Ceux-là retournent se reposer dans leur cabane en bois ou dans leur tente, espérant que le sort leur soit plus favorable la nuit prochaine. Ils ont alors tout le temps de ruminer leurs pensées.
Après avoir traverser mille dangers pour fuir la misère ou la guerre à travers un voyage financé par toute la famille, les voilà de nouveau coincés à quelques heures de l’eldorado tant convoité. Réussiront-ils un jour à sortir de ce ghetto ou sont-ils condamnés à être des indésirables partout dans le monde ? Finiront-ils par rembourser leur proches grâce au travail qu’ils ne manqueront pas de trouver de l’autre coté de la Manche sitôt celle-ci franchie ( du moins c’est ce qu’ils pensent ) ou seront-ils un jour contraints de rentrer chez eux marqués du saut indélébile et infamant de l’échec ?
La vie dans la jungle est ainsi faite d’espoirs maintes fois contrariés et de désespérance grandissante. Dans cet immense bidonville, des bénévoles s’emploient à améliorer le quotidien des réfugiés en préparant des repas, en construisant des abris, en ramassant des ordures, ou encore en donnant des cours de langue.
Ces bénévoles ont alors la satisfaction de se sentir utiles à quelque chose. Mais à qui cela est-il le plus utile ? Aux bénévoles ou aux réfugiés ? Le French Doctor devenu romancier, Jean-Christophe Rufin, voit d’un œil très critique les actions menées par les humanitaires. A l’en croire, leurs motivations seraient d’abord dictées par leurs propres névroses et la machine humanitaire toute entière se serait pervertie au contact de l’argent. C’est ainsi qu’il écrit à propos d’un personnage dans son roman Check Point se situant durant les guerres yougoslaves :
« Il se moquait pas mal de savoir comment vivaient les gens qu’ils allaient secourir. La seule chose qui lui importait, comme aux autres, ceux qui travaillaient au siège devant leur ordinateur, c’était d’avoir trouvé des " bénéficiaires ". Grâce à eux, l’association allait pouvoir recevoir l’argent de l’Union européenne et la machine caritative continuerait de tourner. »
Alors qu’en est-il des bénévoles de la jungle ? Parviennent-ils, comme Nicolas Sarkozy, à rire de ce spectacle de désolation ? Il semble que oui mais pas pour les mêmes raisons. Quand l’un cherche à séduire son électorat, les autres refusent souvent d’être pris pour des héros. Le rire pour eux est une forme de décompression, indispensable pour affronter ce que les yeux ont parfois du mal à supporter.
Quand le personnel politique encourage le repli sur soi, au point parfois de proposer de remettre les migrants "dans les bateaux", les militants rêvent d’ouvrir les frontières. Deux conceptions radicalement différentes.
Au printemps 2017, les citoyen (ne) s français (es) auront l’occasion de s’exprimer à ce sujet en remettant les clefs du pays à la personne de leur choix.
Média : Des extraits de la vidéo De Sangatte à la « jungle », comment Calais est devenu un point de fixation réalisée par Francesca Fattori pour le journal Le Monde ont été intégré à ce reportage.